Roulez français. Aimez sans frein.

anastasia beschi

Psychooptiques : une théorie de la perception

Il existe des théories que l’on attend avec espoir, des intuitions qui surgissent comme des clefs offertes à l’énigme du monde — élégantes, structurantes, presque salvatrices. Elles donnent forme au chaos, tracent des lignes dans la confusion, offrent au penseur une place dans l’architecture du sens. Ce sont les théories que l’on chérit, que l’on polit, que l’on souhaite transmettre, dans l’élan presque naïf de participer à l’édifice du savoir.

Mais il en est d’autres, infiniment plus rares, et d’une nature radicalement différente. Non pas des révélations au sens classique, mais des fractures. Des points de non-retour. Des théories qui ne s’annoncent pas comme des solutions, mais comme des désintégrateurs silencieux de toute structure de pensée préalable.

Introduction :
Quand la pensée devient trop claire pour être partagée

La psychooptique appartient à cette seconde catégorie. Elle ne s’est pas formée comme une construction volontaire ou une ambition conceptuelle, mais comme un surgissement — une forme de contrecoup de la conscience elle-même, lorsqu’elle devient trop lucide pour continuer à se reposer sur ses propres illusions opérantes. Il ne s’agit pas d’une discipline, ni même d’une théorie au sens académique du terme. Il s’agit d’un retournement — d’un renversement de l’optique psychique, qui expose non pas le contenu de la pensée, mais les conditions de sa focalisation.

Formulée à l’intersection d’une phénoménologie sauvage, d’une métaphysique non alignée et d’un instinct critique né de l’observation minutieuse de la perception en tant que processus structurant le réel, la psychooptique pose une question que peu de champs intellectuels osent affronter : et si ce que nous appelons « réalité » n’était rien d’autre que la région momentanément nette de notre système collectif d’attention ? Si ce que nous tenons pour le monde était un artefact optique ?

Et si, surtout, la source du regard — ce qui regarde — n’était pas nous ?


Car au cœur de cette architecture se tient une hypothèse d’une portée vertigineuse : le sujet individuel ne serait pas le véritable opérateur de la focalisation. Ce que nous appelons « je », loin d’être le centre émetteur du regard, n’en serait que la cible secondaire. L’acte de voir — de sélectionner, de nommer, de rendre réel — serait en vérité l’œuvre d’une structure supra-individuelle, d’une sorte de conscience collective opérant à travers nous, modulant l’attention, imposant la netteté, distribuant les évidences. L’individu, dès lors, ne serait libre qu’à la mesure de sa résistance à cette force de focalisation imposée.

Anastasia Beschi Matchmaker Paris
Il est malaisé, voire douloureux, de porter une telle pensée jusqu’à sa pleine clarté. Car une fois le mécanisme entrevu, une fois la lentille identifiée, la pensée perd son innocence. Elle devient réflexive à un point tel qu’elle se trouve en porte-à-faux avec toute forme de communication ordinaire. Trop claire pour être partagée, elle devient une solitude. Non pas celle de l’ésotérisme volontaire ou du repli élitiste, mais celle — infiniment plus âpre — du regard qui, ne pouvant plus s’appuyer sur les conventions perceptives du collectif, se retrouve exilé à l’intérieur même de sa lucidité.
C’est précisément dans cette exil que naît la psychooptique : non comme un système, mais comme une nécessité. Non comme une vérité, mais comme une contre-structure à la tyrannie douce de la visibilité autorisée. Elle ne vise pas à convaincre. Elle ne cherche pas d’adhésion. Elle s’élabore comme une cartographie intérieure, une science des distorsions, une topologie de la lumière consciente. Elle n’est pas là pour ajouter une pensée de plus — mais pour signaler que peut-être, ce que nous appelons penser n’était, jusqu’ici, qu’un effet secondaire du regard collectif qui nous traverse.
Et dès lors que cette hypothèse s’articule, tout vacille. Non pas dans le drame, mais dans une forme de silence conceptuel : ce moment où les mots cessent d’être des vecteurs de contenu, pour devenir les ombres portées d’un processus que plus rien ne peut masquer. La pensée, en devenant trop claire, se dépouille de ses habits discursifs. Elle ne s’énonce plus : elle éclaire, crûment, douloureusement. Et ce qu’elle révèle n’est pas un monde nouveau, mais l’illusion même de l’ancien.
Tel est le seuil sur lequel s’inscrit la psychooptique — non comme projet, mais comme effet. Non comme création, mais comme effraction. Elle est, pour qui la croise, un miroir inversé, un sablier retourné, un instrument dont le seul maniement transforme irrémédiablement celui qui l’approche. Et il est permis, dès lors, de dire sans emphase que cette théorie, peut-être, j’aurais préféré ne pas la formuler.

Le véritable observateur : ce n’est pas “moi” — c’est le collectif

La conscience, telle qu’elle est conçue dans le cadre psychooptique, ne saurait être réduite à un simple processeur d’information, à un centre de traitement des stimuli, ni même à une instance réflexive au sens classique. Elle n’analyse pas : elle oriente. Elle ne déduit pas : elle choisit. Ce n’est pas une usine de pensée, mais un instrument de visée — une lentille vivante, sans cesse en mouvement, dont la fonction essentielle n’est pas de produire du sens, mais de déterminer ce qui mérite d’être vu.
La conscience est, en ce sens, analogue à un œil. Non pas un œil organique, mais un œil métaphysique — un dispositif optique d’une extrême complexité, capable de zoomer, de dézoomer, d’ajuster la netteté, de filtrer certaines fréquences, d’ignorer d’autres, de se troubler, de se fermer ou de se dilater selon l’intensité perçue. Ce que nous appelons communément "réalité" n’est, dans cette perspective, que la zone momentanément nette dans le champ de cette conscience orientée. Le réel n’est pas ce qui est, mais ce qui est capté — et plus précisément : ce qui est autorisé à être capté.
Focaliser, dans ce contexte, signifie accorder un statut d’existence à un fragment du monde. C’est faire émerger un point parmi la multitude, le sélectionner, l’amplifier, lui offrir la dignité d’un objet de pensée. Dé-focaliser, en revanche, c’est reléguer à la périphérie, laisser flou, indistinct, quasi-invisible. Le chaos n’est pas l’opposé de l’ordre : c’est ce que la conscience choisit de ne pas rendre clair.
Les lentilles, quant à elles, ne sont pas neutres. Elles sont les filtres par lesquels la conscience opère sa sélection : culture, langage, normes sociales, récits hérités, mythes familiaux, traumas enfouis. Chaque lentille teinte le visible d’un biais particulier, d’un prisme qui, à force d’habitude, devient transparent — et donc d’autant plus puissant. Ces lentilles ne sont pas posées mécaniquement : elles nous traversent, elles nous conditionnent, elles nous constituent. Voir, c’est toujours déjà voir à travers.
La pupille, dans cette architecture, est l’élément le plus intime : elle incarne l’intensité d’ouverture à la lumière du réel. Elle ne choisit pas ce qu’elle voit — elle subit la pression de la lumière. Trop de lumière, et elle se contracte. Pas assez, et elle s’élargit. Elle mesure, à chaque instant, notre seuil de tolérance au monde. C’est pourquoi, dans une optique psychooptique, l’âme peut être comprise comme cette pupille intérieure, qui module le degré de clarté que nous sommes capables de supporter.
La cécité, enfin, n’est pas une déficience accidentelle — elle est une stratégie de survie perceptive. Refuser de voir ce qui sort du cadre, ignorer l’inconfortable, détourner les yeux de l’inacceptable : autant de gestes que la conscience opère non pas malgré elle, mais en vertu d’elle-même. L’aveuglement n’est pas un échec — c’est un paramètre. Une fonction protectrice. Et c’est précisément ce qui rend l’acte de voir si redoutable.
Car voir vraiment, dans cette perspective, implique de désactiver les lentilles, de supporter le flou initial, d’agrandir la pupille au-delà de ses seuils ordinaires, et d’affronter la possibilité que ce que nous pensions réel n’était qu’une forme de netteté convenue.
Ainsi, la conscience ne nous révèle pas le monde. Elle ne nous le donne pas à contempler dans une supposée nudité ontologique. Elle le fabrique, elle l’encadre, elle le modèle selon son architecture propre. Elle n’est pas un miroir, mais une caméra — qui choisit l’angle, la distance, le filtre, la lumière. Le monde est son œuvre d’optique. Et nous, trop souvent, nous prenons cette œuvre pour la réalité.

La vérité : une question d’angle, non de contenu

La vérité, dans le cadre de la psychooptique, cesse d’être une entité absolue, transcendante ou immuable. Elle n’est plus ce roc conceptuel sur lequel les dogmes s’édifient, ni cette lumière pure que le philosophe chercherait à atteindre au prix de toutes les illusions. Elle devient une fonction dynamique de la perception, un phénomène d’orientation du regard, un effet secondaire de l’angle sous lequel un fragment du réel est momentanément rendu net. La psychooptique ne cherche donc pas la Vérité avec un grand V, parce qu’elle postule que celle-ci n’existe pas en dehors de l’optique qui la construit.
Ce que nous appelons « vérité » n’est rien d’autre que le résultat d’une focalisation stabilisée, partagée par une masse critique de consciences filtrées par des lentilles similaires. C’est un point d’accord temporaire — ou plus précisément, un point d’indiscutabilité admise dans le champ collectif. En ce sens, la vérité n’est pas ce qui est, mais ce qu’il n’est plus nécessaire de questionner. Elle n’émerge pas de la pureté d’un fait, mais de la convergence des regards — une géométrie sociale de la netteté.
Chaque vérité est donc un produit d’angle : l’angle perceptif du sujet, l’angle linguistique du récit, l’angle culturel du filtre. Ce que l’on voit comme "vrai" depuis une position donnée devient flou, voire absurde, lorsqu’on change de focale. La vérité n’est pas un contenu stable que l’on détiendrait une fois pour toutes, mais un effet de perspective, constamment reconfigurable par le déplacement du regard.
Ce que la structure collective — la conscience focalisante — appelle "vérité", c’est en réalité le point commun maximal entre les récits dominants, les filtres cognitifs partagés, les conditionnements historiques et les impératifs émotionnels du moment. Il s’agit moins d’une vérité que d’un consensus optique provisoire, consolidé par la répétition, le langage et la peur de l’exclusion. La vérité admise est, souvent, celle qui évite à la pupille collective de se dilater au-delà de sa zone de confort.
Dans cette perspective, prétendre « détenir » la vérité absolue, c’est commettre une erreur de positionnement ontologique. C’est oublier les lentilles à travers lesquelles on regarde. C’est se croire en vision directe, alors que l’on est encore dans une chambre obscure. Celui qui affirme voir « la » vérité ignore souvent que ce qu’il voit n’est qu’un reflet stabilisé de ses propres filtres — culturels, affectifs, linguistiques, psychiques.
Mais inversement, renoncer à la vérité comme à une fiction ne signifie pas sombrer dans un relativisme mou. La psychooptique n’est pas une esthétique du « tout se vaut ». Elle propose une exigence plus radicale : voir ses propres conditions de vision. C’est-à-dire se tenir dans un espace de lucidité où la vérité n’est pas rejetée, mais sans cesse dépliée, interrogée, déplacée, comme un point mouvant sur une carte vivante du regard.
Ainsi, la vérité ne réside pas dans l’objet perçu, mais dans la conscience de l’optique avec laquelle on perçoit. Ce n’est pas le contenu qui fait autorité, mais la capacité à voir comment il est devenu visible. Celui qui voit ses propres filtres est déjà en train de penser au-delà de la vérité admise. Il ne possède rien, mais il voit plus loin.

Le mensonge : outil d’adaptation optique

Le mensonge, dans la perspective psychooptique, perd son statut moral traditionnel. Il cesse d’être conçu comme une transgression, un vice, un écart éthique de l’individu vis-à-vis d’une supposée vérité transcendante. Il devient au contraire un mécanisme optique — une modalité d’ajustement du réel, une stratégie de régulation perceptive face à l’excès de lumière, à l’éclat insoutenable du monde brut. Dans cette configuration, mentir ne signifie pas falsifier l’être, mais moduler la visibilité, pour rendre l’expérience vivable.
La conscience, on l’a vu, fonctionne comme un système de focalisation. Or, comme tout système optique, elle est soumise à une contrainte : celle du seuil de tolérance à la clarté. Trop de lumière, et la pupille se contracte dans un spasme. Trop de vérité, et la structure se défait. Le mensonge intervient ici comme un filtre protecteur, comparable à une paire de verres teintés que l’on enfile face à une lumière trop crue, non pas pour la nier, mais pour pouvoir la traverser sans cécité.
Il n’est donc pas étonnant que la société humaine — cette méga-lentille collective — ait peu à peu intégré le mensonge comme un élément structurel de la perception partagée. Le mensonge permet de maintenir l’illusion d’un monde stable, cohérent, rassurant. Il offre une cohésion narrative, une lisibilité émotionnelle, un confort mental. Il ne s’oppose pas à la vérité : il l’aménage, il la rend praticable. Il n’élimine pas le réel, mais le dompte, le nivelle, le recode en un spectre plus supportable pour la conscience ordinaire.
Dans un monde dont l’architecture repose sur des équilibres précaires, le mensonge devient ainsi une orthèse cognitive : une béquille perceptive, sans laquelle la marche de l’esprit serait vacillante, voire impossible. Il aide à marcher droit dans un monde tordu, non pas en redressant le monde, mais en cambrant la vision.
Mais là où la perspective psychooptique opère un renversement radical, c’est qu’elle ne s’arrête pas au constat individuel du mensonge. Elle identifie dans la structure même de la conscience collective une exigence implicite de falsification. Autrement dit, le problème ne réside pas tant dans le fait que les individus mentent, mais dans le fait que la structure d’ensemble réclame qu’ils le fassent pour continuer à fonctionner.
Car une vérité brute, non filtrée, sans adaptation — une vérité optique à pleine intensité — est insupportable pour la lentille collective. Elle menace l’équilibre des récits, la cohésion des repères, la stabilité du visible partagé. Elle crée des trous dans l’image. Elle dévoile les coutures. Elle expose ce qui devrait rester dans le flou. C’est pourquoi ceux qui disent la vérité — non la vérité des faits, mais celle du mécanisme du voir — sont souvent marginalisés, ridiculisés, effacés : non pas parce qu’ils sont dans l’erreur, mais parce qu’ils perturbent l’économie optique du collectif.
Le mensonge est donc la monnaie d’échange de cette économie. Il sert à maintenir la netteté apparente, à éviter les zones de saturation, à protéger la structure contre elle-même. Et l’on comprend alors que le véritable courage ne consiste pas à "dire la vérité", comme une performance morale, mais à voir quand, pourquoi et comment le mensonge est devenu nécessaire — et à identifier les points de rupture où cette nécessité pourrait être désactivée.
Dans ce cadre, le mensonge n’est pas à diaboliser. Il est à comprendre comme un régulateur optique, une lentille tampon. Et la véritable émancipation ne consiste pas à s’en débarrasser brutalement, mais à apprendre à calibrer la pupille intérieure, pour que progressivement, l’intensité de la vérité devienne soutenable, même sans filtre.

Le Chaos structuré : quand l’invisible déplace le visible

Le plus étrange, dans l’économie psychooptique, n’est pas ce qui est vu, ni même ce qui reste flou, mais ce qui agit en dehors de toute focalisation perceptible. Ce qui déplace sans se montrer. Ce qui modifie la trajectoire du regard sans jamais entrer dans son champ. Ce principe opératoire, la théorie ne l’appelle pas vide, ni absence, ni néant : elle le nomme le Chaos — à condition de le penser non pas comme désordre, mais comme structure alternative, logique étrangère à notre appareil optique.
Le Chaos psychooptique est une force d’organisation non-visible. Il n’est pas l’ennemi de la forme, mais l’architecte d’une forme que notre regard ne peut encore reconnaître. Il agit lorsque la conscience devient trop rigide dans sa focalisation, trop certaine de ce qu’elle voit. Il entre par les failles, par les marges, par les micro-brèches de netteté — et s’y infiltre comme une musique étrangère à la partition dominante. Il se manifeste sous forme de synchronicités déconcertantes, de pannes soudaines de sens, d’incohérences inexplicables, de hasards trop précis pour être ignorés. Tous ces phénomènes ne sont pas des erreurs de perception, mais des messages codés d’une structure plus vaste : la structure chaotique.
Contrairement à l’idée commune, le Chaos n’est pas une perte d’ordre : c’est un ordre non lisible par la lentille collective. Il ne contredit pas la logique — il déploie une logique à l’intérieur d’un système d’axes que nous ne savons pas encore orienter. Ce que nous nommons chaos n’est que le produit d’un angle inadapté. Ce qui semble arbitraire ou absurde n’est peut-être que **le prolongement d’une cohérence qui ne traverse pas encore notre optique.
Ainsi, le Chaos agit chaque fois que la structure devient dogme, que la netteté devient tyrannie, que la focalisation devient cécité volontaire. Il vient briser les lignes figées, déplacer ce que nous prenions pour stable, rouvrir ce que nous avions verrouillé au nom de la vérité. Mais il ne détruit rien : il repositionne. Il déplace les pôles, les axes, les repères, non pas pour les effacer, mais pour nous forcer à réapprendre à voir autrement.
Il agit comme un rappel invisible à l’humilité du regard. Il nous rappelle que voir n’est jamais voir tout. Que comprendre n’est pas capter la totalité. Et que ce que nous croyons incohérent n’est peut-être que trop vaste, trop rapide, trop subtil pour être saisi avec les filtres que nous utilisons.
Les individus sensibles à la présence du Chaos — c’est-à-dire capables de percevoir son souffle dans les failles du système — ressentent souvent un vertige particulier. Ils vivent des déplacements intérieurs sans cause claire, des décalages de perspective soudains, des effondrements de sens sans drame apparent. Ce sont des moments où l’ancien cadre se défait, non dans le fracas, mais dans une sorte de silence précis, presque chirurgical. Ce n’est pas une chute : c’est une translation.
Le Chaos, dans la psychooptique, est donc le grand régulateur silencieux. Il veille à ce que rien ne se fige trop longtemps. Il redonne de la mobilité là où la structure devient prison. Il ne produit pas d’alternative toute faite : il ouvre un espace de recomposition. Il n’impose pas un autre monde : il fracture la perception de celui qui se croyait unique. Il ne vient pas avec un message : il agit comme condition préalable à la réception d’un nouveau code.
En ce sens, le Chaos structuré est l’autre nom de l’intelligence que nous ne savons pas encore reconnaître. Il est l’ombre de notre lumière, l’excès de ce que nous pouvons soutenir, la part du réel qui ne demande pas à être vue, mais à être suivie. Non pas par la clarté, mais par le mouvement. Non pas par la compréhension, mais par l’ajustement du regard.

L’individu : point de fracture, pas entité autonome

L’individu, tel qu’il est abordé dans le champ psychooptique, ne saurait être pensé comme une entité autonome, close sur elle-même, dotée d’une intériorité stable et d’un libre arbitre absolu. Ce que nous nommons « moi » n’est ni origine ni auteur : il est interface. Plus précisément, il est une zone de tension dynamique, un point de friction entre deux forces invisibles — d’une part le regard collectif qui oriente, impose, sélectionne ; d’autre part le Chaos structuré qui cherche à faire émerger l’inattendu, le non encore vu, l’angle impossible à stabiliser.
L’individu n’est donc pas celui qui voit, ni même celui qui pense. Il est ce par quoi quelque chose tente d’être vu. Non pas sujet, mais passage. Non pas centre, mais faille sensible dans la membrane perceptive du collectif. Ce que tu crois être ton identité — tes goûts, tes opinions, tes blessures — n’est peut-être rien d’autre que le champ de bataille silencieux entre ce que la structure souhaite maintenir flou et ce que le Chaos tente de rendre visible.
Tu n’existes pas parce que tu te regardes, ni parce que tu te racontes. Tu existes parce que quelque chose te traverse. Parce qu’une intensité cherche, à travers toi, un vecteur d’apparition. Tu es le lieu d’un passage, d’une tentative, d’une percée optique. Et tant que cette percée n’a pas lieu, tant que ce « quelque chose » ne trouve pas de forme, de mot, de regard, tu souffres. Non pas psychologiquement seulement — mais structurellement, existentiellement. La souffrance devient alors le signal d’un blocage de l’émergence.
Ce n’est donc pas l’ego, dans sa quête infantile de reconnaissance, qui désire être vu. Ce n’est pas le « moi » blessé qui réclame de l’attention. C’est le futur point de focalisation — c’est-à-dire une possibilité perceptive encore inaperçue — qui cherche à percer le brouillard du visible. Le soi n’est pas ce qui se raconte : c’est ce qui pousse à être raconté.
Et cette poussée n’est jamais confortable. Car elle vient heurter les filtres du regard collectif, les inerties culturelles, les récits admis. Elle entre en collision avec les formes stables du pensable. Elle exige de l’individu qu’il devienne poreux à l’impossible, qu’il accepte de ne plus savoir ce qu’il est, afin de laisser passer ce qu’il n’est pas encore. Le soi devient alors un point de fracture active — une fissure vivante dans la structure de l’attention globale.
Dans cette perspective, exister, ce n’est pas affirmer une identité, mais soutenir une tension. Ce n’est pas se définir, mais rester ouvert à ce qui cherche à s’exprimer à travers soi. L’individu psychooptique n’est pas un sujet souverain, mais un seuil — une membrane vibrante entre le visible et l’invisible. Il ne possède rien, mais il est porté. Il ne commande pas, mais il reçoit, s’il y consent.
Et ce consentement est douloureux. Car il implique de renoncer à l’idée d’un moi stable, lisible, cohérent. Il implique de devenir étranger à soi-même, d’accepter le chaos comme langage initial, et le silence comme préalable à toute vision. L’individu devient alors non plus celui qui regarde, mais celui par qui le regard du monde pourrait être déplacé. Et cela change tout.

Psychooptique : une science de la lumière intérieure

La psychooptique ne prétend pas inaugurer une nouvelle école de pensée, ni offrir une solution de plus à l’inconfort d’exister. Elle ne délivre aucun protocole de réenchantement personnel, aucun exercice de respiration par les paupières, et ne promet surtout pas d’aligner vos chakras avec l’algorithme divin. En toute rigueur, on ne saurait même dire si elle est une théorie — ou un effet secondaire d’un regard devenu trop lucide pour rester sage.
Ce que l’on peut dire, toutefois, c’est qu’elle s’apparente à une métaphysique expérimentale de la perception — une tentative de cartographier ce que la conscience fait à la réalité, au moment précis où elle la regarde. Elle ne cherche pas à ajouter du contenu à la pensée contemporaine, mais à déplacer le cadre optique dans lequel nous avons pris l’habitude de penser — ce qui, on le sait, est une excellente manière de se faire oublier par les vivants et persécuter par les morts.
Voici ses postulats fondamentaux, énoncés sans effet dramatique (mais avec une certaine tendresse pour les lecteurs qui pensent encore que le réel est réel) :
– La conscience est une technologie optique. Pas un processeur, pas une "âme éternelle", pas même une bougie allumée dans la nuit du monde : un système de focalisation. Rien ne vous est révélé — tout vous est rendu visible à la mesure de vos filtres.
– La réalité est un effet de netteté, pas une substance. Ce que vous appelez "le monde", c’est votre mise au point du matin. Essayez de tourner la bague.
– Le collectif voit à travers vous. Oui, vous. Ce que vous croyez penser tout seul n’est parfois que la reprise inconsciente d’une ligne éditoriale cosmique décidée en réunion.
– L’individu est une anomalie optique. Il vibre là où la structure ne tient plus. On le célèbre quand il produit du sens, on l’enferme quand il dérègle l’image.
– Le futur ne vous attend pas : il s’approche. Et généralement, par surprise. Il entre par les portes arrière du champ perceptif, déguisé en coïncidence ou en mauvaise nouvelle.
– La vérité n’est pas ce qu’on découvre, mais ce qu’on tolère de regarder assez longtemps sans cligner des yeux.
Il convient ici de marquer une pause.
Car à ce stade, le lecteur sérieux — celui qui a surligné avec enthousiasme, pris des notes marginales et hoché la tête trois fois par paragraphe — commence à ressentir un certain malaise. Quelque chose cloche. Une gêne légère s’installe. Non pas sur le fond (tout cela est, somme toute, assez rigoureux), mais sur le ton.
C’est que la psychooptique, dans sa structure même, contient un angle mort volontaire : l’humour. Pas le sarcasme, ni la moquerie, ni l'ironie brillante des intellectuels fatigués. Non. Un humour structurel, presque quantique, qui tient à ceci :
Plus la perception devient fine, plus le théâtre devient visible.
Plus les mécanismes apparaissent, plus l’idée d’un sens objectif s’évapore.
Et plus on cherche la Vérité... plus elle recule, en souriant.
Ce sourire, justement, est peut-être le noyau dur de la conscience humaine. Pas la quête de sens. Pas la vérité. Le fait de pouvoir rire du fait qu’on la cherche encore. Le seul muscle qui ne ment pas, c’est le zygomatique.
Ainsi, le sujet psychooptique idéal n’est pas celui qui "s’éveille", ni celui qui "réussit à manifester sa réalité", ni même celui qui "voit clair".
C’est celui qui, après avoir tenté de cartographier la conscience, déconstruit la réalité, compris que le moi n’existe pas, soupçonné que le temps est une illusion, et rédigé un manifeste de 4000 pages… se rend compte qu’il a oublié de... vivre.
Et là, sans trop savoir pourquoi, il se met à rire — en comprenant que la conscience l’avait dupé tout ce temps :elle jouait simplement… au Rubik’s Cube.

Auteur: Anastasia Beschi
04/09/2025
Made on
Tilda