Roulez français. Aimez sans frein.

anastasia beschi

Algorithmes pré-expérientiels

L’architecture pré-expérientielle du code

L’un des postulats fondamentaux de la psychooptique est que toute expérience humaine — y compris celle que l’on croit spontanée, libre ou inédite — s’inscrit dans une structure cognitive préexistante. Avant même que le sujet prenne conscience de ses choix, de ses perceptions ou de ses actions, un cadre de lecture du monde est déjà en place, construit par des variables biologiques, culturelles, sociales et linguistiques.
Ce que nous appelons “réalité” ne se manifeste pas sous une forme brute, mais à travers une grille interprétative intériorisée dès les premières étapes du développement. Cette grille fonctionne comme une architecture perceptive : elle filtre, sélectionne, hiérarchise, et dans certains cas anticipe les événements avant même qu’ils ne soient vécus.

Il ne s’agit pas ici d’un déterminisme strict, mais d’un conditionnement optique profond, qui précède la conscience réflexive. L’enfant, par exemple, ne perçoit pas simplement : il apprend à percevoir. Il intériorise très tôt des schémas d’orientation de l’attention, des modèles d’interprétation du danger, de la sécurité, du bien et du mal, du possible et de l’interdit. Ces schémas deviennent des repères perceptifs qui encadrent son rapport au réel.
Ainsi, la majorité des comportements adultes dits “automatiques” ne sont pas le produit d’un choix rationnel, mais la suite logique d’un programme perceptif hérité. Ce que l’on nomme intuition, préférence, ou même identité, peut être compris — du point de vue psychooptique — comme le prolongement d’un code pré-expérientiel qui détermine l’orientation initiale du regard.

Une analogie peut être faite avec l’expérimentation scientifique : un chercheur ne manipule jamais des substances sans hypothèse préalable. Même lorsque le protocole semble neutre, il est encadré par des règles, des protocoles, des prédictions intégrées. L’expérience humaine fonctionne de manière comparable : elle met à l’épreuve une attente implicite bien plus qu’elle ne découvre un phénomène.
Ce décalage entre l’illusion de découverte et la réalité de confirmation constitue un biais structurel majeur de la conscience humaine. Il est renforcé par les structures collectives (langue, école, médias, traditions), qui homogénéisent les angles de perception et rendent invisibles les contours du cadre lui-même.
La conscience, dans cette perspective, n’est pas un observateur neutre, mais un instrument de focalisation au sein d’une architecture déjà orientée. Et tant que ce cadre n’est pas interrogé, toute tentative de changement ne fait que réorganiser les éléments à l’intérieur du même système de coordonnées.

Ce que propose la psychooptique, ce n’est pas une sortie hors du cadre — mais une prise de conscience de sa présence. C’est une méthodologie de déplacement optique, qui cherche non pas à inventer une autre réalité, mais à rendre visible le niveau où la réalité se configure avant même d’être perçue.

L’expérience humaine comme confirmation, non comme découverte

Dans l’imaginaire moderne, l’individu est conçu comme un explorateur du réel : il observe, découvre, choisit, expérimente. L’expérience y est pensée comme un processus d’ouverture, d’apprentissage libre, voire de transformation personnelle. Pourtant, lorsque l’on interroge la manière dont les perceptions s’organisent concrètement dans l’esprit, cette représentation entre en tension avec un fait plus discret : la plupart de nos expériences ne font que confirmer des attentes déjà intégrées.

La psychooptique soutient que l’expérience humaine fonctionne majoritairement selon une logique de confirmation perceptive. Avant même d’agir, le sujet anticipe inconsciemment ce qui va se produire, sur la base d’innombrables micro-programmes perceptifs acquis dans l’enfance, consolidés par l’environnement social, et renforcés par la répétition. L’expérience ne survient donc pas comme une “rencontre avec l’inconnu”, mais comme une vérification d’un schéma préalable.
On pourrait comparer ce mécanisme à une expérience chimique dont le résultat est déjà attendu : ce n’est pas l’ignorance qui motive le geste, mais la volonté de voir se produire ce qui est prévisible. Dans la vie quotidienne, ce phénomène prend des formes multiples : une personne qui “tombe toujours sur le même type de partenaire”, qui “reproduit sans cesse les mêmes erreurs”, ou qui “sait déjà que ça ne marchera pas”, n’est pas prisonnière du hasard, mais d’un mécanisme de répétition orienté par la prédiction.
Cette dynamique prédictive s’étend bien au-delà des comportements individuels. Elle structure également les systèmes sociaux, les identités collectives, les normes culturelles. Une société ne fait pas simplement vivre à ses membres des événements : elle organise leur manière de les interpréter à l’avance. Ce qui est valorisé comme “réussite”, désigné comme “problème” ou perçu comme “risque” est toujours le reflet d’une attente partagée — non d’un fait brut.
L’école, par exemple, ne se contente pas de transmettre des connaissances. Elle conditionne l’esprit à reconnaître certains types de résultats comme valides, certaines démarches comme rationnelles, certains savoirs comme légitimes. Elle forme à une logique d’anticipation du réel, où l’on apprend moins à penser qu’à valider ce que l’on attendait déjà de nous.

Ce processus n’est pas pathologique en soi. Il permet stabilité, cohérence, lisibilité sociale. Mais il tend à réduire la marge d’émergence du nouveau. L’individu en vient à vivre ce qu’il pense devoir vivre, à ressentir ce que son cadre perceptif l’autorise à ressentir, et à interpréter ses actes comme les siens, alors qu’ils s’inscrivent dans une continuité prédictive rarement questionnée.
La psychooptique invite ici à un déplacement : l’expérience ne doit plus être vue comme une matière première brute, mais comme un artefact perceptif structuré. En d’autres termes, ce que nous vivons n’est pas forcément ce qui se passe — c’est ce que notre système perceptif, déjà configuré, a été préparé à voir advenir.

Le “plan divin” comme métaphore d’un code psychooptique

Parmi les constructions symboliques les plus anciennes de l’humanité, l’idée d’un plan supérieur — souvent appelé “volonté divine”, “dessein”, “karma” ou “destin” — revient de manière récurrente dans la plupart des traditions spirituelles et religieuses. Derrière la diversité des vocabulaires, on retrouve un principe commun : celui selon lequel le monde ne se produit pas au hasard, mais suit une logique inscrite avant même notre naissance.

La psychooptique ne cherche ni à valider ni à contester ces croyances. Elle les interprète comme des intuitions collectives d’un fait cognitif fondamental : l’être humain vit dans un environnement déjà codé, et sa conscience s’active à l’intérieur de ce cadre, sans toujours en percevoir les contours.
Ce que les mythes appellent “plan divin”, la psychooptique le redéfinit comme code pré-expérientiel : une structure de cohérence qui précède l’expérience vécue et oriente sa forme, ses limites, ses interprétations possibles.

Prenons un exemple simple. Lorsqu’un événement “étrange” survient — un accident évité de peu, une coïncidence troublante, une rencontre décisive — il n’est pas rare que la personne y voie un “signe”, un “appel” ou une “preuve” que “quelque chose est écrit”. Ce réflexe n’est pas naïf : il reflète une manière de chercher du sens en amont de l’événement, comme si l’élément vécu ne pouvait pas être totalement autonome, mais devait renvoyer à une intention supérieure, voire à une programmation.
En effet, tout système perceptif humain cherche à intégrer les faits dans une trame narrative préexistante. Il est plus acceptable, cognitivement, de vivre dans un monde structuré que dans un chaos imprévisible. Ainsi, la croyance en un “plan” permet de réduire l’angoisse de l’aléatoire — mais elle révèle aussi que l’esprit humain fonctionne déjà sur un mode prédictif.

Dans cette optique, les “plans divins” ne seraient pas des entités transcendantes, mais des métaphores d’un besoin psychique profond de cohérence. Ils renvoient à un fait plus sobre : nous avons besoin de croire que ce que nous vivons correspond à un ensemble cohérent de causes, de finalités, ou de prédictions.
Le danger, cependant, apparaît lorsque cette logique devient rigide. Si tout est interprété comme “voulu”, “mérité”, “écrit d’avance”, la conscience se ferme à l’imprévu réel, à la dissonance cognitive, à la remise en question du cadre lui-même. On ne cherche plus à comprendre ce qui échappe au code, mais à forcer les événements à confirmer ce qui a été anticipé.
Ainsi, le plan devient piège : non plus un repère d’orientation, mais une prison optique. Et ce que l’on appelle “foi”, dans ce contexte, n’est parfois qu’un attachement à une cohérence rassurante — quitte à évacuer la complexité du réel.

La psychooptique propose donc une inversion. Elle ne demande pas : “quel est le plan ?”, mais “d’où vient la perception qu’il y en a un ?” Elle ne cherche pas à remplacer Dieu par le cerveau, mais à montrer comment l’œil mental construit un sentiment de nécessité à partir de structures invisibles.
Ce n’est pas un jugement. C’est une invitation à prendre conscience du fait que même la croyance dans une intention supérieure est, elle aussi, un produit du regard.

La répétition comme mécanisme de stabilisation perceptive

La répétition est souvent perçue, dans la vie psychique, comme un phénomène annexe — un symptôme, une manie, ou à l’inverse, une habitude neutre. Pourtant, lorsqu’on l’observe à travers le prisme psychooptique, elle apparaît comme un mécanisme fondamental de stabilisation du réel, agissant bien au-delà du comportement observable.
Avant même d’être une action répétée, la répétition est une structure optique : un circuit dans lequel la perception s’inscrit, se renforce et finit par produire un effet de “réalité” ou de “véracité”. Elle ne sert pas seulement à mémoriser, mais à ancrer un monde perceptif cohérent, même s’il est dysfonctionnel.
Un exemple trivial permet de saisir ce phénomène : lorsqu’une personne répète les mêmes gestes chaque matin, utilise les mêmes itinéraires, écoute les mêmes discours, elle ne le fait pas seulement par confort. Elle réactive sans le savoir un ensemble de repères qui réduisent l’incertitude perceptive. La répétition devient un filtre : elle élimine le bruit, le flottement, l’ambiguïté. Elle rend le monde “tenable”.

Dans le champ de la dépendance, ce mécanisme prend une forme plus visible. Le besoin de répéter un acte — fumer, consulter compulsivement, consommer une substance ou même entretenir un type de relation — n’est pas uniquement lié à une sensation de plaisir ou de manque. Il répond à une nécessité structurelle de validation du code préexistant : l’addiction est la répétition d’un scénario perceptif qui a déjà été “prédit” dans l’architecture mentale du sujet.
Autrement dit, l’addiction vient confirmer une prédiction ancienne. Non pas une prédiction consciente, mais une attente implicite — souvent construite dans l’enfance — selon laquelle “cela se passera comme ça”. Le geste compulsif n’est pas un choix, mais une vérification inconsciente de cohérence interne. L’individu répète, non parce qu’il veut, mais parce qu’il a besoin de voir advenir ce qui a été “codé” comme probable.
Ce processus renvoie à un phénomène bien connu en sciences cognitives : la “prophétie autoréalisatrice”. Mais la psychooptique va plus loin. Elle postule que ce n’est pas seulement le comportement qui se conforme à l’attente — c’est le système de perception lui-même qui filtre l’environnement pour ne laisser apparaître que ce qui correspond au schéma. La répétition est alors la preuve que le code tient, même au prix d’une souffrance.

C’est pourquoi de nombreuses personnes déclarent “ne pas comprendre pourquoi elles revivent toujours les mêmes situations”. Elles ignorent que leur œil intérieur a été formé pour reconnaître ces situations comme familières, et qu’il rejette inconsciemment ce qui ne cadre pas. Ce n’est pas l’action qui crée le réel, c’est la confirmation du code par la répétition qui fait exister ce réel dans leur champ de conscience.
La répétition, ainsi comprise, devient une fonction : elle stabilise un champ perceptif dans lequel l’individu se sent au moins en terrain connu, même si ce terrain est douloureux. Cela explique la difficulté à sortir des schémas répétitifs : ils ne sont pas simplement intégrés — ils sont nécessaires à la continuité de l’identité optique du sujet.
La question n’est donc pas : “pourquoi répétons-nous ?” mais “qu’est-ce que cette répétition cherche à maintenir en place ?”. Ce que la psychooptique propose, ce n’est pas de supprimer la répétition — ni même de la sublimer — mais de la rendre à sa fonction première : celle d’un signal, non d’un destin.

La liberté ne réside pas dans le choix, mais dans l’absence du code

La modernité occidentale a sacralisé le concept de “choix” comme ultime preuve de la liberté humaine. L’individu autonome, éclairé, capable de délibération, est censé peser les options, décider, agir — et, ce faisant, exercer sa volonté. Ce récit séduit, mais il omet une question plus fondamentale : qui a écrit les options ?
Dans une perspective psychooptique, le choix n’est pas le point de départ de la liberté, mais le produit final d’un système déjà encodé. Avant même que l’individu ne se trouve face à une “décision”, une série de filtres cognitifs, d’habitudes perceptives, de récits culturels et de trajectoires inconscientes ont déjà défini le cadre dans lequel ce choix a lieu. Autrement dit : ce que nous appelons “choisir”, c’est souvent simplement activer un code perçu comme personnel, mais en réalité hérité.
La liberté, dans ce cas, n’est pas absente — mais elle est mal localisée.

Là où la psychooptique propose un déplacement radical, c’est dans sa capacité à interroger non pas la décision elle-même, mais le point optique depuis lequel cette décision est perçue comme possible, nécessaire ou inévitable. Car ce n’est pas l’action qui est libre, mais le regard qui précède cette action, s’il parvient à voir le code… et à s’en détacher.
Prenons un exemple quotidien : un individu s’apprête à réagir à une provocation. Il sent la colère monter, l’envie de répondre, de défendre son territoire psychique. Il pense “je choisis de me défendre” — mais ce “choix” est déjà la réactivation d’un scénario appris, d’un schéma neuro-émotionnel structuré dès l’enfance, souvent par des expériences où se défendre était vital. Ce n’est pas un choix libre : c’est une exécution codée.
Pourtant, à l’instant qui précède l’action, il existe une faille. Un instant infinitésimal, à peine accessible, où le regard peut se déplacer, suspendre l’exécution automatique, et voir la structure au lieu de la suivre. C’est là — dans cette suspension — que réside le seul espace de liberté véritable.

Mais cette liberté n’est pas un pouvoir. Elle n’est pas un muscle, ni une affirmation de soi. Elle est l’évanouissement momentané du cadre optique lui-même. L’absence de code. Un moment sans prédiction, sans scénario à vérifier, sans programme à dérouler. Et c’est précisément ce moment — rare, fragile, souvent inconfortable — qui permet de faire quelque chose qu’aucun algorithme ne peut prévoir.
Le paradoxe, c’est que cette forme de liberté ne donne pas nécessairement lieu à un choix visible. Elle peut prendre la forme d’un silence, d’un geste annulé, d’une écoute nouvelle. Rien d’héroïque. Mais tout d’essentiel.
C’est pourquoi la psychooptique ne cherche pas à produire des individus “plus libres” dans le sens habituel du terme. Elle invite à une désactivation lucide : désactiver non pas le monde, ni soi-même, mais la répétition codée de ce que l’on croit être soi.
Et peut-être, à bien y regarder, ce que nous appelons “liberté” n’est rien d’autre que cela : un moment sans code.

Et si le dernier code, c’était ...?

Tout au long de cette exploration, une idée a discrètement accompagné chaque détour : ce que nous appelons “expérience” n’est pas une découverte du réel, mais la confirmation progressive d’un code déjà présent. Nos perceptions, nos gestes, nos attachements et nos dépendances ne sont pas tant les produits de notre liberté que les effets de stabilisation d’un programme perceptif inscrit bien avant nous.
Ce que la psychooptique appelle “algorithme pré-expérientiel”, c’est cette structure invisible qui précède le choix, anticipe l’acte et produit une continuité psychique — souvent confondue avec l’identité. Mais dans cette architecture, une prédiction se détache de toutes les autres. Une qui, dès l’enfance, plane comme une évidence indiscutable. Une qui organise en silence la valeur du temps, l’angoisse du manque, le désir de laisser une trace, la peur de l’oubli.

La mort.

Et si c’était elle, le code originel ? Celui dont les autres ne sont que des sous-routines d’adaptation, de distraction, de négociation. Et si ce n’était pas l’expérience de la fin qui nous effraie — mais l’anticipation de cette fin, reçue trop tôt, trop jeune, trop brutalement comme une vérité absolue ? L’enfant qui apprend qu’il mourra un jour… inscrit dans son architecture mentale un compte à rebours. Il ne le choisit pas. Il l’hérite.
Et tout ce qui s’ensuivra — la quête de sens, d’amour, de pouvoir, de transmission — pourra être lu comme une immense boucle de confirmation de cette prédiction initiale.
Mais alors, posons une dernière question.

Et si nous ne savions pas que nous allions mourir…

…vivrions-nous pour toujours ?


Auteur: Anastasia Beschi
03/10/2025
Made on
Tilda